Plumes Libres #1 – Ioanna Faïta “l’exploration des chemins numériques de la recherche en SHS”

Pour inaugurer cette section, nous avons invité Ioanna Faïta chercheuse doctorale en première année en Sciences de l’Information et de la Communication (SIC), à partager le sujet de sa recherche doctorale.

“Je suis Ioanna Faïta, chercheuse doctorale (1^ère année) en Sciences de l’Information et de la Communication (SIC). Après avoir complété le premier cycle d’études supérieures avec une licence en philologie, spécialisée en lettres classiques à l’Université capodistrienne d’Athènes, j’ai suivi une formation de niveau master en humanités classiques et numériques à l’Université Paris-Nanterre. Le sujet de mon mémoire de recherche a porté sur des questions genrées dans les Métamorphoses d’Ovide : j’ai utilisé le texte latin non lemmatisé du PHI et un texte lemmatisé avec le CLTK (ce qui avait supposé une  initiation à l’usage d’un script en Python), puis constitua un vocabulaire de termes relatifs à la transidentité, la dysphorie du genre et la transition de genre, puis inspecta l’application de ce vocabulaire (distribution, concordance en R et topic modelling) tout au long du texte ovidien.

À la fin du cycle du Master, j’ai souhaité prendre du recul par rapport à mes questionnements théoriques et scientifiques, poursuivre mes projets artistiques, tout en appliquant mes compétences en milieu professionnel. J’ai rejoint OpenEdition où, pendant deux ans, j’ai fait partie de l’équipe « Livres & Revues » en tant que chargée d’édition, chargée d’accompagner les revues et éditeurs de livres à mettre leurs contenus en ligne jusqu’à ce qu’elles et ils puisent utiliser les plateformes de manière autonome.

Aujourd’hui, full circle, me voilà doctorante rattachée à deux laboratoires : le laboratoire ELICO, affilié à l’école doctorale EPIC de l’Université  Claude Bernard Lyon 1 et OpenEdition Lab, qui fait partie de l’unité d’appui et de recherche (UAR) OpenEdition dédiée à la communication scientifique, structure phare dans le paysage de la science ouverte en SHS, en France. Ce contrat doctoral que je mène à plein temps depuis maintenant quelques mois, est entièrement financé par un projet ANR – plus spécifiquement l’équipement d’excellence (ÉquipEx+) COMMONS. Il s’agit d’un projet visant à fédérer les services des trois infrastructures OpenEdition, Métopes et Huma-Num dans un environnement intégré et interopérable.

Mon travail doctoral est un projet mené en tandem avec une autre recherche doctorale en informatique et science des données, dans un double objectif : sur le plan opérationnel, nous travaillons à la conception d’un protocole de recension et de documentation des usagers et des usages des services qui se situent dans le périmètre du projet COMMONS (couvre les services des infrastructures d’OpenEdition, Métopes et Huma-Num). Sur un second plan, je souhaiterais profiter de ce terrain afin d’explorer l’environnement de la science ouverte en sciences humaines et sociales et contribuer à l’élaboration d’une réflexion critique.

Ce billet de blog est en soi un exercice d’ouverture de la science : ouvrir la science inclut l’ouverture de toutes les étapes de la recherche. Non seulement rendre accessibles des travaux finalisés mais aussi communiquer à travers d’autres formats d’écriture, comme un billet de blog par exemple, sur une recherche en cours. Mettre en valeur la science « en train d’être faite » est une affirmation qui peut paraître anodine au premier abord mais ne l’est pas en pratique, car partager ses idées qui sont vouées à être modelées est un acte courageux.”Ce billet de blog est en soi un exercice d’ouverture de la science : ouvrir la science inclut l’ouverture de toutes les étapes de la recherche. Non seulement rendre accessibles des travaux finalisés mais aussi communiquer à travers d’autres formats d’écriture, comme un billet de blog par exemple, sur une recherche en cours. Mettre en valeur la science « en train d’être faite » est une affirmation qui peut paraître anodine au premier abord mais ne l’est pas en pratique, car partager ses idées qui sont vouées à être modelées est un acte courageux.

J’ai décidé de partager quelques premières pistes qui pourraient se formuler en questions à la fois pratiques et théoriques. Le point de départ est représenté par  les usages : la façon et les stratégies avec lesquelles on s’approprie un outil de recherche et de partage d’information. Afin de penser aux pratiques, méthodes, architectures, je souhaite déployer des méthodes et analyses relevant des SIC qui visent à replacer au centre de cette préoccupation théorique et pratique, les manières de faire,

Le quotidien s’invente avec mille manières de braconner

De Certeau, 1980

on s’intéresse donc à localiser les pratiques, étudier comment elles s’ancrent dans l’espace et le temps en fonction de leurs acteur·ices.

Afin de cartographier les chemins de recherche d’information en milieu numérique, cette enquête vise d’abord à comprendre le rôle des outils et comment ceux-ci équipent, guident, contraignent, formatent les usages.

Quelles sont les affordances d’un outil ? C’est-à-dire quelles sont les pratiques qu’un outil prescrit en quelque sorte de lui-même ?

Paveau, 2012

Au-delà des affordances, quels sont les détournements d’usages, tous les emplois d’un objet ou d’un dispositif, non-attendus ou subversifs, qui visent à adapter l’outil au contexte précis de l’usage, à le situer et ainsi en le dépassant ? La présence et la circulation d’une représentation n’indiquent nullement ce qu’elle est pour ces utilisateurs (De Certeau, 1980), alors je souhaite étudier tout ce qui se niche entre représentation instruite et appropriation ancrée. De là, mettre en lumière la complexité des dispositifs, l’épaisseur des représentations, illustrer la densité et l’hétérogénéité des rapports créés par et entre les dispositifs, traduire ces liens en tant qu’outils de construction de rapport aux objets, au savoir et au monde plus largement.

En termes de vocabulaire, il est important d’insister sur la différence entre usage et utilisation (Jouët 1993, Millerand 1998, Boulier 2016). Par “utilisation”, nous entendons les comportements anticipés qu’un·e utilisateur·ice peut déployer au contact avec un outil. Anticipés puisque conformes au mode d’emploi, comme pensés lors de la conception de l’outil et comme instruits par les sessions de formation lors du déploiement du dispositif. Alors que l’usage passe au-delà de la simple utilisation. Quand l’usage devient un propre champ de communication, un carrefour, grâce et avec le dispositif, environnement, service, plateforme ou infrastructure, alors être utilisateur·ice ne devient qu’ une des facettes de l’usager·e, un des rôles d’une personne qui appréhende le monde.

Étayer la consistance multiple de l’usager·e en percevant l’assemblage homme-objet (Granovetter 1985, Paveau 2012) c’est aussi rectifier le rapport entre humain et technique, c’est contourner la perception techniciste des outils, déterministe et déterminante, qui appelle à la soumission aux réseaux et leur ubiquité. La recherche contemporaine étant en grande partie hybride, elle s’organise au fondement de l’interaction entre agents et réseaux, humains et techniques ; par là, il devient nécessaire de recourir à un pluralisme épistémologique afin de saisir la complexité des objets, relations et procédures intriquées. Quant à l’analyse des situations d’usages, nous avons à notre disposition des sources de natures diverses à traiter : des traces numériques, les logs serveurs et les métriques de fréquentation, mais nous aurons également la possibilité de faire des observations in situ, mener des entretiens semi dirigés et mettre des enquêté·es en situation. Ceci, toujours au spectre de l’analyse préalable et parallèle de tout ce qui est de l’ordre du dispositif et fait interface avec l’usager·e, i.e. la matérialité de cette communication. 

Une attention particulière est portée aux données et à leur place, toujours en dialogue avec le caractère propre que les données prennent dans le contexte de la science ouverte et avec leurs spécificités et leur diversité, héritées des nombreux champs disciplinaires composant les SHS. Aussi, le rôle des protocoles comme médiation du rapport entre données, usagers et plateformes, ainsi que le rôle de l’architecture, comme organisation de l’information, comme agencement qui permet l’accessibilité de l’information, sont des éléments que l’on considère importants dans ce travail de recherche. 

Je vise à comprendre le rôle joué par l’ouverture des données et des publications, soutenue par l’inscription politique de la science ouverte et portée par de multiples initiatives aux échelles nationale, européenne et mondiale : ainsi élargir la discussion sur ce que l’ouverture signifie en termes de procédure, d’apport, de politique, de pratiques mais aussi quel est son pouvoir transitoire, en tant que levier de changement des pratiques ordinaires et quotidiennes.

Que doit-on ouvrir afin de permettre la mise en place de collaboration en recherche comme principe fondamental ?

Comment peut-on rendre plus inclusif l’accès à la science, non seulement en termes de moyen mais aussi en tant qu’ouverture épistémologique à tout ce qui peut être valorisé comme “savoir légitime” et qu’est-ce qui fait “savoir légitime” ? 

Ma réflexion explore l’emploi des termes empruntés à l’architecture, l’aménagement de l’espace et la science du sol, navigation, écosystème, porosité…, il s’agit donc de métaphores nourries des cartes. Celles-ci sont des outils, en tant que récits et protocoles (cartographies d’acteurs, d’usages, topics…). L’apport de la carte se situe dans le fait de rendre visible des composantes invisibilisées dans la fabrique et la circulation des savoirs, dès lors que l’on identifie ce que l’on veut représenter. Emprunter aux cartes géologiques l’idée de visualiser la profondeur des données est opératoire, quant à la collecte et la préparation des données, et la profondeur de chaque dispositif – tout le travail invisible dans l’univers de la science ouverte en SHS, à savoir de la collecte et le nettoyage des données jusqu’à leur mise en ligne. En parallèle, représenter l’épaisseur en termes d’accès, les différents types d’accès qui forcent à des détournements et des bifurcations (i.e. comment un chemin de navigation change quand l’usager·e se retrouve face à un contenu qui n’est lui est pas accessible car il ou elle n’a pas d’affiliation universitaire, ou si la bibliothèque n’a pas d’abonnement à telle ou telle revue). S’appuyer sur le temps chronologique, linéaire des usages, inscrits dans le temps circulaire de la vie de la donnée, pour mieux comprendre les rapports produits dans cet écosystème et les rôles et la place de l’ouverture dans l’espace-temps du réseau créé par les usages. Je compte développer ces idées et partager les avancées de mes recherches.”

Pour rester au courant de celles-ci vous pouvez la contacter par mail à ioanna.faita[at]openedition.org

Vous pouvez ainsi accéder à son profil sur la plateforme ORCID (Open Researcher and Contributor ID) https://orcid.org/0009-0000-4541-5670

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